Tomorrow - Tomorrow (1968)


1. "My White Bicycle" (Hopkins, Burgess) – 3:17
2. "Colonel Brown" (Hopkins, Burgess)– 2:51
3. "Real Life Permanent Dream" (Hopkins) – 3:15
4. "Shy Boy" (Hopkins, Burgess) – 2:26
5. "Revolution" (Hopkins, Howe) – 3:48
6. "The Incredible Journey of Timothy Chase" (Hopkins) – 3:17
7. "Auntie Mary's Dress Shop" (Hopkins, Burgess) – 2:44
8. "Strawberry Fields Forever" (Lennon, McCartney) – 3:58
9. "Three Jolly Little Dwarfs" (Hopkins, Burgess) – 2:26
10. "Now Your Time Has Come" (Hopkins) – 4:51
11. "Hallucinations" (Hopkins, Burgess) – 2:37

 

Le premier et unique du groupe Tomorrow est un des trésors les mieux gardés de la pop. C'est un des deux ou trois albums psychédéliques anglais à posséder absolument. Il est à placer dans le même sac que le premier Pink Floyd ou que S.F. Sorrow. Voire plus haut, car s'il est psychédélique, il est surtout pop, avec toute l'exigence de perfection que ce terme peut impliquer...

Il est incompréhensible que cet album ne soit pas mieux considéré. Quoique... Quand des critiques s'avisent d'en parler, c'est pour le couvrir d'éloges.

Tomorrow a pour atout d'avoir rassemblé plusieurs des plus fameux illuminés de la scène londonienne. D'abord, il y a Twink, le futur batteur des Pretty Things, le futur pote de Syd Barrett, qui finira tout aussi cinglé que lui à force d'ingurgiter de l'acide. Twink est le batteur psychédélique, constamment créatif, avec des roulements, des jeux de toms...

A la guitare : Steve Howe. C'est le futur guitariste vedette de Yes. Quand on dit ça, ça peut faire peur (parce que groupe progressif, etc.). Et pourtant, il n'y a pas de quoi s'effrayer. Il suffit d'écouter Close To The Edge pour se rendre compte de la classe du jeu de Steve Howe. C'est lui qui parvient à illuminer ce dernier album (quoi qu'on pense de la musique dans son ensemble), dès l'ouverture, avec des cascades de notes magnifiques... Il y a aussi ces arpèges somptueux à l'accoustique... Jamais de virtuosité gratuite, en tout cas, chez Steve Howe.

Au chant : Keith West, qui a acquis une petite notoriété lors de sa carrière en solo. Keith West, avec sa voix très anglaise, est un parfait chanteur pop.

Enfin, à la basse, il y a "Junior", qui forme avec Twink une des meilleures sections rythmiques de l'époque. D'ailleurs, Hendrix ne s'y est pas trompé. Il était très impressionné par Tomorrow et venait souvent jammer avec eux.

Evidemment, toutes ces individualités réunies auraient pu produire une musique hétérogène et daubesque. Or, ce n'est pas du tout le cas. C'est très dense, très ramassé... Il n'y a jamais les improvisations délirantes qui gâchent tant d'albums psyché. Tomorrow se repose sur le format chanson, comme les Beatles ; il y d'ailleurs sur l'album une reprise (la seule reprise de l'album) du très produit "Strawberry Fields Forever". Reprise brute, qui débarrasse la chanson de tout son attirail orchestral...

Les chansons sont très composées. Par contre, elles explosent souvent la structure couplet-refrain, au point qu'on a parfois l'impression d'un collage (comme sur les albums tardifs de Spirit) : cf la chanson "The Incredible Journey of Timothy Chase" où la musique s'arrête brutalement... pour laisser la place à une magnifique mélodie chantée par-dessus un accompagnement de guitare surprenant.

Les deux singles tirés de l'album suffisent à montrer à quel niveau de sophistication le producteur Mark Witz s'était hissé. Il rivalise avec Norman Smith (qui fut aussi contacté en vue d'assurer la production). "My White Bicycle" est une orgie de phasing, de choeurs distordus et d'effets sonores variés, de sorte qu'elle est devenue un pilier de toutes les compilations consacrées à la musique freakbeat. Très dans l'air du temps également : "Revolution", le deuxième single. C'est un collage de fragments tous plus barrés les uns que les autres. Certes, l'intro, avec ses guitares indianisantes et ses enfants disant que la révolution est "a good thing", paraît naïve avec le recul. Mais certains passages sont surprenants, notamment le refrain avec son tapis de wah-wah.

Je tiens à prévenir d'avance le reproche qui pourrait être fait à cet album : sa palette sonore aurait "vieilli". Je ne comprends pas l'usage de ce qualificatif... Soit un album est bon, avec des chansons bien écrites et bien composées ; soit il est faible (OK, on n'oublie pas les positions intermédiaires). Si certains "amateurs" de musique ne sont pas capables de s'arracher à leur univers musical quotidien, ils ne peuvent en rendre responsables des musiciens ayant officié il y a quarante ans. Faute de quoi, sous peu, c'est Bach dont la musique sera jugée vieillote...

Les singles ne sont d'ailleurs pas les morceaux les plus classiquement beaux, à mon sens. Je leur préfère "Colonel Brown", l'histoire d'un vétéran de la guerre qui passe son temps à contempler ses médailles ainsi que les photographies de son mariage (une très belle chanson) ou "Auntie Mary's Dress Shop", sur une vendeuse de robe qui apprend que la famille royale envisage de s'attacher ses services. A atmosphère désuète, instruments désuets : cette dernière chanson est introduite par un clavecin électrique.

Ces chansons-là sont très british. Ray Davies et Chris White des Zombies auraient pu écrire semblables chroniques.

Mais le disque comprend d'autres morceaux à caractère lysergique, comme "Three Jolly Dwarfs", qui plaira tant au DJ John Peel qu'il la diffusera tous les soirs ; "Real Life Permanent Dream", avec une introduction de sitar et des paroles reprenant le thème du rêve éveillé ; la plus qu'explicite "Hallucinations", où une guitare électrique tourbillonne par-dessus une grille d'accords en mode mineur...

Toutes ces chansons bénéficient d'une production complexe mais aérée, un peu comme S.F. Sorrow des Pretty Things : dans les deux cas les guitares sont utilisées à bon escient (avec un Steve Howe éblouissant de bout en bout), pour éclairer la toile plutôt que pour l'encombrer. Et dans les deux cas, les lignes de basse sont fantastiques.

C'est donc un album essentiel que je vous recommande là. Il est important de ne pas s'arrêter à une première écoute, en cas de difficultés d'acclimatation à la production, et de persévérer : ces onze chansons finissent vite par enjôler l'auditeur et par se rendre indispensables, du fait de leur richesse. Last but not least, les bonus tracks sont très intéressants. "Claramount Lake" et "Now Your Time Has Come" n'auraient pas déparé sur l'album. "Why" est une bonne reprise des Byrds, prise sur Younger Than Yesterday. Enfin, EMI propose plusieurs morceaux créés à l'occasion de projets parallèles à Tomorrow. Je suis fasciné par la qualité et l'originalité de deux morceaux d'Aquarian Age, groupe réunissant Twink Et Junior : il s'agit de "10000 Words In A Cardboard Box" et "Me". 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr