Grace - Buckley, Jeff (1994)


1. "Mojo Pin" (Jeff Buckley, Gary Lucas) – 5:42
2. "Grace" (Jeff Buckley, Gary Lucas) – 5:22
3. "Last Goodbye" (Jeff Buckley) – 4:35
4. "Lilac Wine" (James Shelton) – 4:32
5. "So Real" (Jeff Buckley, Michael Tighe) – 4:43
6. "Hallelujah" (Leonard Cohen) – 6:53
7. "Lover, You Should've Come Over" (Jeff Buckley) – 6:43
8. "Corpus Christi Carol" (Benjamin Britten) – 2:56
9. "Eternal Life" (Jeff Buckley) – 4:52
10. "Dream Brother" (Jeff Buckley, Mick Grondahl, Matt Johnson) – 5:26

 

Jeff Buckley, disparu accidentellement à l'âge de 30 ans, restera comme le grand regret de la musique américaine indie folk/rock des années 90 (il aura malheureusement un alter ego dans les années 2000 avec Elliott Smith).

Jeff Buckley avait de la musique une approche généreuse. Il était ouvert à Led Zeppelin comme à Edith Piaf, aux Smiths, à l'opéra et à Nusrat Fatah Ali Khan (le maître de la musique sacrée des soufis). Il avait en concert la capacité de transmettre quelque chose, au point d'émouvoir aux larmes un professionnel (Thom Yorke, en l'occurrence).

Ses dons musicaux étaient indéniables. Il avait hérité de son père Tim (qu'il n'a jamais connu) une voix virtuose capable de couvrir quatre octaves et, surtout, à l'aise dans les territoires de l'émotion ou de l'errance (ce que à quoi les paradis artificiels l'avaient peut-être accoutumé). Excellent guitariste, par ailleurs, fusionnant arpèges, riffs et grilles d'accord jouées à la façon des folkeux.

Grace, son unique album (un second album sera assemblé de manière posthume), révèle ces différents talents et ces influences hétéroclites.

"Mojo Pin", qui fait allusion à la drogue (l'héroïne), s'ouvre sur un arpège magnifique bientôt doublé par une voix aérienne, juste posée. C'est l'oeuvre d'un grand interprète, de quelqu'un qui habite ses chansons et qui sait s'affranchir de la raideur de la pulsation. Ce dernier constat me fait dire que, décidément, ses relations avec son père (via la tombe) étaient ambiguës...

De la même veine : "Dream Brother". On y remarque à nouveau la prédilection de Buckley pour les arpèges aux chromatismes étranges et pour les sections rythmiques souples. Certains passages vocaux révèlent l'influence de Nusrat Ali Khan.

"So Real" n'est pas moins excellente que les deux chansons précéentes. C'est même, en ce qui me concerne, la chanson de l'album que je réécoute le plus volontiers, du fait de ses couplets exceptionnels : progression harmonique, changements de rythme...

"Last Goodbye" : très bonne chanson, construite sur un riff acoustique. L'instrument soliste est... l'orchestre. Ou plutôt les cordes, arrangées à l'unisson. Une idée empruntée au "Friends" de Led Zeppelin ?

Jeff Buckley n'a jamais caché son amour pour Led Zeppelin et Jimmy Page (qui le lui rendait bien). La tendance plus électrique de Led Zeppelin est représentée sur Grace par "Eternal Life".

Les compositions originales de Jeff Buckley sont, on le voit, d'une belle tenue. Seule exception : "Lover, You Should've Come Over", qui est assez quelconque.

Mais Grace contient en sus trois reprises, issues d'univers très différents : le langoureux (et beau) "Lilac Wine", chanté à l'origine par Elkie Brooks et popularisé par l'interprétation de Nina Simone ; "Hallelujah" de Leonard Cohen (d'après la version arrangée par John Cale) ; "Corpus Christi Carol" enfin, dont les paroles ont été écrites au XVIème siècle et dont la musique a été composée par le compositeur anglais Benjamin Britten (!) en hommage aux victimes de la Première Guerre mondiale.

Certains seraient tentés d'apposer d'accoler à Jeff Buckley l'épitaphe qui orne la tombe de Schubert ("... des promesses encore plus belles"). Mais cet album Grace est un legs qui mérite d'être écouté pour lui-même, en-dehors de toute pollution mythologique. Il n'y en a guère eu de plus beaux dans les années 90... 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr