Highway 61 Revisited - Dylan, Bob (1965)


1. "Like a Rolling Stone" – 6:13
2. "Tombstone Blues" – 5:58
3. "It Takes a Lot to Laugh, It Takes a Train to Cry" – 4:09
4. "From a Buick 6" – 3:19
5. "Ballad of a Thin Man" – 5:58
6. "Queen Jane Approximately" – 5:31
7. "Highway 61 Revisited" – 3:30
8. "Just Like Tom Thumb's Blues" – 5:31
9. "Desolation Row" – 11:21

 

Cet album est l'un des plus influents de toute l'histoire de la musique populaire. Il faut se rendre compte qu'il est sorti en août 1965, précédant Rubber Soul de plusieurs mois... C'est donc le plus vieux album inclus dans notre liste d'incontournables (en mettant à part Help qui est loin d'être parfait).

Avec Highway 61 Revisited, Dylan fait passer le folk de l'ère acoustique à l'ère électrique. Bien sûr, il y avait déjà eu quelques antécédents dans sa propre carrière. Ainsi, sur l'album immédiatement antérieur Bring It All Back Home, on pouvait trouver de formidables chansons électriques, comme "Subterrean Homesick Blues". Mais là, Dylan réalise un album entièrement électrique, et un album d'une telle qualité que la face de la musique en sera définitivement changée.

"Like A Rolling Stone" à elle seule a exercé une influence inouïe. Cette chanson est d'ailleurs souvent considérée comme le meilleur single de tous les temps. Paul McCartney racontait qu'il était dans la maison de Lennon quand ils ont entendu "Like A Rolling Stone" pour la première fois : "C'était juste magnifique... Il nous a montré à tous qu'il était possible d'aller plus loin...". Et Frank Zappa envisagea d'arrêter sa carrière. Que restait-il à faire après cela ?

Si Dylan est l'homme qui a introduit l'électricité dans la folk, il a toutefois bénéficié du travail précurseur d'autres musiciens. Dylan, comme d'autres, a été surpris par l'énormité de l'english invasion, qui avait vu des groupes comme les Beatles, les Kinks, les Rolling Stones et d'autres renvoyer dans les limbes les vedettes américaines d'alors. Parmi ces "envahisseurs" figuraient beaucoup de groupes de rythm'n blues, des groupes qui lancèrent un véritable "blues revival". Dylan avait beaucoup écouté ces groupes. Et il avait notamment été bluffé par la version électrique que les Animals avaient proposée de son propre titre "The House Of The Rising Sun". L'idée de déposer une musique électrique sur ses mots s'imposa donc à lui à partir de ce moment-là.

Comme le titre de l'album l'indique (l'autoroute 61 relie Memphis à la Nouvelle-Orléans), c'est dans le blues américain que Dylan va se plonger pour électrifier sa musique. Des essais ont lieu avec les Bluesbreakers de John Mayall, mais les répétitions ne donnent rien. L'alcool coule à flots, et la musique produite est une bouillie. Dylan se tourne alors vers Mike Bloomfield, le critique du très coté Paul Butterfield Band. Bloomfield raconta plus tard que Dylan avait des idées bien arrêtées sur ce que devait être sa musique. Il ne voulait surtout pas d'une resucée de blues à la B.B. King. Dylan était au piano, Bloomfield à la guitare, essayant d'inventer quelque chose... Et le courant passa entre les deux. Restait à assembler un groupe complet...

Le 15 juin de l'année 1965 se déroulent les premières répétitions avec un groupe comprenant, en plus de Bloomfield, le pianiste Frank Owens, le bassiste Russ Savakus et le batteur Bobby Gregg. Al Kooper, qui était guitariste mais barré par Bloomfield, était juste spectateur. Alors que Dylan et les autres répétaient "Like A Rolling Stone" sans en venir à bout, Kooper demanda à jouer la partie d'orgue. Il n'était pas du tout un organiste chevronné. On le laissa faire... Quand Dylan entendit le résultat, il se déclara très satisfait. Et c'est ainsi que le Hammond fit son entrée dans la musique de Dylan : il colorera la plupart des chansons de l'album, et restera un des instruments emblématiques des sixties.

Il faudra bien d'autres sessions pour terminer l'album. L'enregistrement sera d'ailleurs perturbé par le fameux incident du festival de Newport, au cours duquel des folkeux allergiques à l'électricité crièrent à la trahison et cherchèrent même à débrancher le micro de Dylan. Choqué par l'événement, Dylan reprit néanmoins son travail, et il finit par livrer avec Highway 61 Revisited son premier grand chef d'oeuvre.

La première chanson, on en a déjà parlé : c'est "Like A Rolling Stone". Tout le monde connaît sa grille d'accords montante, le petit gimmick d'orgue ajouté par Kooper... Attention à ne pas oublier non plus la finesse du jeu de Bloomfield, qui conclut le refrain par un arpège génial, pendant que le batteur martèle ses fûts. Le propos ? Il est fascinant de morgue. Une fille qui se croyait indestructible se retrouve maintenant en fâcheuse posture... Et le narrateur ne se fait pas prier pour lui donner une leçon de morale... Certains pensent que Dylan visait Edie Sedgwick, l'égérie de Warhol, à qui il reprochait de la laisser sombrer dans l'héroïne.

La dernière chanson de l'album, "Desolation Row", en est l'autre pilier. C'est la seule chanson entièrement acoustique de l'album. Il y a deux guitares et une contre-basse. Ici, les références musicales sont clairement folk. Les paroles sont peut-être ce que Dylan a fait de mieux. Elles lui ont attiré en tout cas beaucoup d'éloges. Il décrit dans cette chanson un étrange carnaval : une formidable galerie de personnages pittoresques ou absurdes vivant dans "l'allée de la désolation". On a imaginé un temps que "Desolation Row" était sise dans la Huitième Avenue de New-York, alors un des endroits les plus dangereux de la ville. Mais certaines expressions semblent faire référence au sud... Peut-être pour mieux rattacher la chanson au reste de l'album ?

Entre ces deux chansons parmi les plus célèbres de Dylan figurent d'excellents blues. Blues effrénés comme "Tombstone Blues" et "From A Buick 6" : ces deux-là sont peut-être mes préférés. Dylan y chante avec un phrasé inimitable et tellement classieux...

"It Takes A Lot To Laugh, It Takes A Train To Cry" démarre comme du blues-rock ternaire classique, avec le jeu de piano associé à ce type de musique. Mais le refrain est purement dylanien. Dylan, en passant à l'électricité, n'a pas rangé son harmonica au grenier pour autant...

La "Ballad Of A Thin Man" baigne dans une ambiance lente et menaçante. C'est dans cette chanson que Dylan assène son très célèbre "Quelque chose est en train de se passer, mais vous ne savez pas ce que c'est, n'est-ce pas, Mister Jones ?". Le personnage en question fait face à un monde étrange, hallucinatoire (le monde des sixties, à vrai dire) et, comme il n'a rien d'une lumière de l'esprit, il reste coi et désemparé face à tous ces changements.

"Queen Jane Approximately", presque pop, est emplie d'une morgue analogue à celle de "Like A Rolling Stone"...

"Highway 61 Revisited", qui a donné son nom à l'album, en est un des points culminants. Sur un rythme répétif (qui évoque presque à lui seul une ballade à moto), Dylan narre cinq problèmes insolubles qui ont tous pour cadre la fameuse highway. A chaque fois, il y a une pause entre le moment est exposé le problème et le moment où est donnée la solution, comme s'il s'agissait d'une vraie devinette. Ces "trous" sont remplis de bruits évocateurs... Par exemple Al Kooper imite le bruit d'une sirène de police dans le troisième couplet.

"Just Like Tom Thumb's Blues". Lors d'un concert en Australie en 1966, Dylan a présenté ainsi cette chanson : "C'est l'histoire d'un peintre qui vient de Mexico, il va s'établir au Texas, il s'appelle Tom Pouce, maintenant il a environ 125 ans mais il continue, et tout le monde l'aime, il a plein d'amis, là c'est quand il était dans sa période "bleue", je lui dédie cette chanson".

Outre le fait qu'il soit si chargé d'histoire, Highway 61 Revisited a pour lui d'être dense, plus en tout cas que Blonde On Blonde, qui lui succédera en 1966. Certains critiques clament leur prédilection pour Blonde On Blonde, mais c'est parce que tout double album est nécessairement bon, pour les individus appartenant à cette engeance. S'il y a un album du Dylan de la première période par laquelle il faille commencer, c'est bien celui-ci : Highway 61 Revisited. Il est blues et particulièrement jouissif à entendre.  

              Damien Berdot
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