16 Lovers Lane - Go-Betweens (The) (1988)


1. "Love Goes On!" – 3:19
2. "Quiet Heart" – 5:20
3. "Love is a Sign" – 4:12
4. "You Can't Say No Forever" – 3:57
5. "The Devil's Eye" – 2:05
6. "Streets of Your Town" – 3:36
7. "Clouds" – 4:02
8. "Was There Anything I Could Do?" – 3:06
9. "I'm All Right" – 3:10
10. "Dive for Your Memory" – 4:17

 

Il arrive parfois qu'on veuille, inconsciemment ou non, contester le statut d'intouchable d'un album ou d'un groupe. Dans le cas de 16 Lovers Lane, le problème se dénoue rapidement. Une brève écoute suffira à clouer sur place tous ceux qui ont grandi dans la musique pop et qui en connaissent les méandres. 16 Lovers Lane est bel et bien un éblouissant chef d'oeuvre.

Au moment où les Go-Betweens s'attellent à l'enregistrement de l'album, plusieurs choses ont changé depuis l'époque de Liberty Belle & The Black Diamond Express. Ils ont d'abord été rejoints par Amanda Brownn, une multi-instrumentiste très douée. Elle a contribué aux arrangements de Tallulah, l'album intermédiaire entre Liberty Belle et 16 Lovers Lane. Mais Tallulah est moins réussi que les deux autres albums. Il est surtout étouffé par une production trop massive... Devant le manque de succès, les Go-Betweens ont quitté leur exile londonien pour retourner en Australie. 16 Lovers Lane a été enregistré à Sidney : c'est le deuxième changement majeur. On devine nos Queenslandais ravis de quitter les brumes londoniennes et éblouis par les fastes de la grande métropole du Sud.

Dernier changement : pour une fois, les deux têtes pensantes des Go-Betweens planent dans des sphères différentes. Grant McLennan a entamé une relation amoureuse avec Amanda Brown, alors que Robert Forster est dans les affres de la rupture avec Lindy Morrison, la batteuse du groupe. Le résultat est heureux : une parfaite complémentarité entre les chansons de McLennan, allègres et portées par l'euphorie de l'amour naissant, et les chansons de Robert Forster, plus mélancoliques que jamais. Le tout est réuni naturellement sous la bannière du thème de l'amour, qui donne son titre à l'album.

A partir du moment où les tribulations du quotidien ont influencé thématiquement les chansons, on devine que 16 Lovers Lane sera un album sincère. Il l'aurait été sans ces circonstances particulières, car le songwriting de Forster/McLennan est tout à la fois le plus modeste et le plus recherché qui soit.

Le critique Robert Christgau avait écrit que Forster et McLennan formaient la plus grande association de compositeurs depuis Lennon/McCartney. Excusez du peu... Si l'on veut poursuivre dans cette voie, on pourrait dire que Robert Forster apparaît comme le Lennon des Go-Betweens, pendant que McLennan serait leur McCartney. Forster est celui qui a impulsé la création du groupe ; c'est aussi un des songwriters qui a été le plus prisé pour la qualité de ses paroles. Quant à Grant McLennan, il s'est imposé par sa capacité à créer des mélodies immédiatement accessibles. Comme le remarquait Robert Christgau, il a pris de l'envergure très tôt dans la carrière des Go-Betweens, au point de presque dominer 16 Lovers Lane... C'est en tout cas lui qui créera les singles, dont le fameux "Streets Of Your Town", qui fut presque un hit.

L'insuccès qui a frappé les Go-Betweens est un scandale, parce qu'il a entraîné la disparition d'un groupe qui était parvenu à un sommet d'homogénéité. Dans le cas des Go-Betweens, il est tout à fait vain de chercher à savoir qui a fait quoi, qui a le plus brillé... Il n'y a pas une chanson qui ne frappe juste et qui ne soit stylée. Robert Forster et Grant McLennan sont deux immenses songwriters, point barre. A l'époque de 16 Lovers Lane, ils avaient appris l'un de l'autre au point de rapprocher leurs styles de chant (parfois difficiles à reconnaître même pour les initiés).

Impossible d'isoler des chansons. "Love Goes On" est une chanson up-tempo, une parfaite introduction du thème général de l'album. Il faut noter la qualité des arrangements : les guitares (qui rêvetent les couleurs du flamenco pendant le pont), les cordes... Il y a aussi des cordes sur "Quiet Heart", plus lente, avec une basse majestueuse qui réussit parfaitement à suggérer l'apaisement. Quand Grant chante, sur trois accords de guitare, "Quiet... quiet... heart", c'est absolument magnifique. Magnifiques mélodies également sur "The Devil's Eye", sur "Streets Of Your Town", avec ses couplets illuminés par le contre-chant d'Amanda, et sur "Was There Anything I Could Do", qui est rendue fièvreuse par un violon tournoyant, façon country.

C'est une chose qui frappe à l'écoute de 16 Lovers Lane : le soin apporté à la moindre ligne instrumentale. Il y a souvent des transitions entre refrain et couplet d'une rare musicalité. Les guitares, notamment, sont particulièrement mélodieuses...

Robert Forster est sur cet album dans un état de grâce absolu : "Love Is A Sign" (à laquelle l'alternance entre accords majeurs et mineurs donne une atmosphère particulière), "You Can't Say No Forever" (une gemme portée par la batterie syncopée de Lindy Morrison... la voix de Robert est dylanienne sur les couplets et... mclennanienne sur les refrains), "Clouds"... Sur les deux dernières chansons, Forster se dégage du cadre rimé traditionnel. Il fait aussi appel à la voix d'Amanda pour "Clouds" et pour "I'm All Alright". "I'm All Alright", parlons-en : il est rare de voir autant de splendeurs concentrées en l'espace de trois minutes : voix et hautbois d'Amanda, chant à la Lou Reed de Robert, mélodie guitaristique inoubliable... Tous ces ingrédients se retrouvent sur le mélancolique et poignant "Dive For Your Memory", splendide conclusion à un splendide album.

Robert Forster a dit que les Go-Betweens ne pouvaient pas mieux terminer : par un retour à la forme. Les chansons de 16 Lovers Lane ont en effet été composées différemment des albums précédents : Forster et McLennan les ont rôdées ensemble avant de les présenter au reste du groupe. Elles en ont gardé une forte imprégnation acoustique, ramenant le groupe vers le folk qu'ils avaient un peu délaissé sur Tallulah. Où quand la simplicité tourne à la perfection : tel est donc le legs final des Go-Betweens (avant leur première mort).

On se dit qu'il n'y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le monde de la musique. Comment est-il possible qu'un tel album n'ait pas rencontré les faveurs du public au moment de sa sortie ? Il a certes acquis une image d'album-culte. Mais les Go-Betweens, eux, ont quitté la scène musicale... 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr