Surrealistic Pillow - Jefferson Airplane (1967)


1. "She Has Funny Cars" (Marty Balin, Jorma Kaukonen) – 3:12
2. "Somebody to Love" (Darby Slick) – 2:58
3. "My Best Friend" (Skip Spence) – 3:01
4. "Today" (Balin, Paul Kantner) – 2:59
5. "Comin' Back to Me" (Balin) – 5:18
6. "3/5 of a Mile in 10 Seconds" (Balin) – 3:41
7. "D.C.B.A.-25" (Kantner) – 2:37
8. "How Do You Feel" (Tom Mastin) – 3:31
9. "Embryonic Journey" (Kaukonen) – 1:53
10. "White Rabbit" (G. Slick) – 2:30
11. "Plastic Fantastic Lover" (Balin) – 2:37

 

Il y a à boire et à manger parmi les disques produits dans le San Francisco du Summer Of Love. Les deux géants de cette époque furent Grateful Dead et Jefferson Airplane. On peut, sans trop de risque d'erreur, se passer des albums qui suivent l'exemple du premier cité : chansons étirées (parfois plus de vingt minutes), improvisations interminables... Tout cela a très mal vieilli. J'inclus dans le lot de ce qu'il faut éviter les albums de Quicksilver Messenger Service. Un guitariste brillantissime (John Cipollina en l'occurence) n'est pas le genre d'atout qui suffit à faire basculer un groupe parmi les grands.

Que ces fourvoiements datant d'une époque où tout était possible (le meilleur comme le pire) ne découragent pas l'amateur de pop d'aller plus avant dans l'exploration de la musique West Coast ! Outre les groupes portés sur l'improvisation, il y eut des groupes attachés au format chanson. L'excellent Moby Grape en fait partie, de même bien sûr que Jefferson Airplane.

Ce qu'il faut dire, avant tout, concernant Jefferson Airplane, c'est que le groupe a débuté comme un groupe de folkeux sous la férule de Marty Balin et Paul Kantner, qui en étaient le coeur. Naturellement, le guitariste Jorma Kaukonen était capable de prendre des solos (ainsi que Jack Casady, le futur Jimi Hendrix de la basse), surtout en concert, mais les Jefferson Airplane demeuraient attachés à l'écriture de chansons soignées. Je dirais même que leurs albums ne souffraient pas de surcharges, contrairement à des albums souvent plus prisés des critiques comme Deja Vu de Crosby, Stills, Nash & Young (trop produit et envahi de solos). On peut par contre rapprocher la musique de Jefferson Airplane des derniers nommés en ce que sa marque distinctive ce sont les choeurs. Les choeur, chez Jefferson Airplane, sont souvent magnifiques.

Le meilleur album de Jefferson Airplane est très certainement le Surrealistic Pillow de 1967. Un deuxième album est souvent cité : After Bathing At Baxter's. Il a nécessité de longs mois de travail en studio ; mais les recherches sur les climats y ont affaibli la qualité mélodique. Croyez-moi : Surrealistic Pillow est plus mélodieux, moins barré, et les contributions de chacun y sont mieux réparties.

Ca ne veut pas dire qu'il ne sente pas le buvard. Bien au contraire, c'est un des classiques du flowers power. A son arrivée dans le groupe (elle a remplacé Signe Anderson), Grace Slick a apporté deux chansons emblématiques : "White Rabbit" et "Somebody To Love". La première est un croisement de Ravel et de Lewis Carroll au pays des bus à fleurs. Elle invite, plutôt que de demander des pilules à sa mère, à les demander à Alice : ces pilules-là permettent de voir des lapins blancs et autres joyeusetés. Mais quelles pilules peuvent avoir un tel effet, nom de blanc ? La chanson est construite comme un crescendo orgasmique sur un rythme de boléro. On ne compte plus les chansons ni les films qui font référence au "lapin blanc" de Jefferson Airplane. Dans le film Las Vegas Parano, "White Rabbit" est LA chanson sur le LSD. Ca, c'est pour le côté drugs. Reste le côté love'n flowers. Ca tombe bien : Grace a aussi apporté "Somebody To Love", un hymne à l'amour communautaire, qu'elle chante avec une voix explosive, sur un fond de guitares déchaînées. Une sacrée personnalité que cette Grace Slick ! Elle fut accessoirement mannequin, ce qui ne gâte rien...

Marty Balin apporte trois excellente chansons. Une ballade, tout d'abord, bien dans son style habituel : "Comin' Back To Me". Elle est arrangée délicatement, avec des guitares acoustiques et une flûte (jouée par Grace Slick). Le chant, brisé, est à la lisière du talk-over. Ses deux autres contributions, qui eurent plus d'impact historiquement, sont des blues-rock complètement transfigurés. "3/5 Of A Mile In 10 Seconds" est une grande réussite ; elle a un riff mémorable et est rendue furieuse par plusieurs guitares électriques et par les choeurs surpuissants. "Plastic Fantastic Lover", plus acoustique, permet encore de faire entendre les choeurs signatures du Jeff' et la guitare lead tranchante de Jorma Kaukonen. J'aime beaucoup la façon de chanter un peu affectée de Marty Balin. Tout se passe ici comme si la chanson était une succession de montées orgasmiques ponctuées à chaque fois par un "Plastic Fantastic Lover" chanté en choeur.

Jorma Kaukonen a livré sur cet album une seule composition solo. Il s'agit d'un instrumental impressionnant que Jorma joue seul à la guitare. Cet instrumental, auquel Jorma travaillait dès 1962, a connu un vrai succès. Il a même été repris dans un épisode de Friends !

Le "D.C.B.A. - 25" de Paul Kantner est une chanson mid-tempo calme, chantée en choeur par Marty Balin et Grace Slick. Arpèges byrdsiens. Cette chanson-là manque un peu de personnalité...

Il y a sur l'album une chanson écrite par un mystérieux Tom Mastin. On doit avouer qu'on ne connaît que peu de choses sur cet individu. Mastin était un ami du groupe. Rien d'autre de lui ne nous est parvenu. En tous les cas, "How Do You Feel" est bonne et parfaitement interprétée par un groupe inspiré : volutes de guitares acoustiques et électriques, récurrence de ce qu'il faut bien appeler un riff de flûte, chants à la Mamas and Papas...

Dans le même genre folk-rock, il y a "My Best Friend", une chanson écrite par le légendaire Skip Spence, qui, tout viré qu'il fût, continua à jouer de la guitare et à assister le groupe (selon l'esprit de l'époque). Les couplets rappellent les mamans et les papas déjà cités, dans leur veine la plus béate ; les refrains ont un côté plus dur, plus rythm'n blues. Il y a des choses qu'on redécouvre, à l'écoute de cet album, comme la guitare lumineuse de Jorma Kaukonen qui assaisonne la fin de la chanson.

Deux chansons ont été écrites en collaboration. "Today" a été écrite par Marty Balin et Paul Kantner. Sans surprise, c'est une ballade. Une ballade délicieuse introduite par une mélodie répétitive jouée à la guitare. Enfin, "She Has Funny Cars", première chanson de l'album, est une collaboration entre Marty Balin et Jorma Kaukonen. Elle associe l'élégance mélodique du premier au background blues-rock du second. Elle commence par un rythme de batterie à la Bo Diddley sur lequel vient se greffer une guitare descendante. Le chant est à l'unisson de la guitare. C'est original et réussi. Puis arrive une section merveilleuse : "You can do...". Deux guitares : une qui joue en arpèges, l'autre qui s'obstine dans les aigus. Marty Balin, et Grace Slick gravite autour de lui. Quant au solo de Kaukonen, il a un son particulièrement incisif. Un grand accomplissement collectif que cette chanson ! Et vraiment, il serait dommage de passer à côté à cause d'une réputation... que je ne saurais moi-même qualifier. Qu'est-ce que vous avez contre les hippies ?

Bilan : un album solide, qui capture l'esprit de son époque au point d'en être émouvant.  

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr