Muswell Hillbillies - Kinks (The) (1971)


1. "20th Century Man" – 5:57
2. "Acute Schizophrenia Paranoia Blues" – 3:32
3. "Holiday" – 2:40
4. "Skin and Bone" – 3:39
5. "Alcohol" – 3:35
6. "Complicated Life" – 4:02
7. "Here Come the People in Grey" – 3:46
8. "Have a Cuppa Tea" – 3:45
9. "Holloway Jail" – 3:29
10. "Oklahoma, U.S.A." – 2:38
11. "Uncle Son" – 2:33
12. "Muswell Hillbilly" – 4:58

 

Muswell Hillbillies est une parenthèse unique dans l'oeuvre des Kinks, un album totalement à part : il mêle des paroles très kinksiennes, puisqu'elles célèbrent le quartier londonien de Muswell Hill (où Ray et Dave ont grandi), à des références musicales américaines. L'univers familier de l'enfance avait fini par susciter ses propres légendes dans l'esprit de Ray au point de paraître le réceptacle approprié à un décor de western.

Disons-le tout de suite : c'est une réussite totale. De façon inattendue, les Kinks s'avèrent capables de jouer du rythm'n blues ou de la country avec la même classe que les Stones, peu ou prou. Dave Davies (le guitariste) est pour cela un auxiliaire précieux. Et les Kinks ont un atout que personne ne peut leur voler : la singularité attachante des descriptions de Ray.

C'est aussi un album qui traite des désordres mentaux provoqués par la stress de la vie moderne. Les titres des deux premières chansons sont évocateurs : "20th Century Blues" et "Acute Shizophrenia Blues". On est là dans des eaux qui ont été draguées dans le passé par les Stones. Bonnes chansons, cela dit, avec des cuivres éclatants et parfaitement arrangés et avec le piano boogie virtuose de Nicky Hopkins.

Mais il y a des chansons inclassables sur Muswell Hillbillies. "Holiday", par exemple, avec sa belle mélodie et son style de chant affecté, qui croque le désir de congés des classes moyennes britanniques. Plus étonnant encore : "Alcohol". C'est à la tradition du cabaret que cette chanson fait appel. Un homme qui avait l'habitude d'être un "winner" au boulot devient esclave du "démon alcool". Ces paroles ont un côté autobiographique puisque Ray a toujours eu des problèmes d'alcoolisme. Rien de plus évocateur que cette chanson traversée de clarinettes new-yorkaises et semblant contenir en germe l'oeuvre d'un Tom Waits.

Les Kinks révèlent ici des talents étonnants. Ray se fait presque imitateur, annonçant le versant plus théâtral de la carrière des Kinks qui prendra naissance peu de temps après la publication de Muswell Hillbillies. Et Dave se montre éblouissant à la guitare (cf sur "Skin And Bone").

"Complicated Life" a presque le même génial rythme cahotant que "Holiday". Idem sur "Have A Cuppa Tea", chanson démente qui caricature l'Anglais textuellement et musicalement (avec cette ritournelle entêtée).

"Holloway Jail" : une excellente chanson. On commence de manière acoustique : Ray chante de façon acide une mélodie entraînante et s'accompagne à la guitare sèche. Puis Dave entraîne la chanson vers quelque chose de plus violent : deux guitares se surajoutent aux pistes initiales, une guitare distordue et une guitare slide...

"Oklahoma U.S.A" diffère un peu des autres chansons. C'est une ballade, avec accordéon et piano. Très bien.

Dans "Uncle Son", un orgue vient étoffer la palette sonore...

Bref, jusqu'à la fin, jusqu'à ce "Muswell Hillibilly" emblématique, l'album reste sur les hauteurs défrichées dès les premiers titres. C'est un album plein de chaleur. On sent que les Kinks ont pris un plaisir fou à tenter cette expérience. Outre Dave, Mick Avory (qui est très sous-estimé) se montre à son avantage. Pour jouer ce genre de musique (cf les Stones), il faut un batteur sachant swinguer ; et Mick Avory, justement, a été formé au jazz.

Il n'est pas surprenant que Ray Davies ait été capable, en 1971, alors que la décennie de la pop s'était achevée, de se renouveler en se tournant vers une musique totalement américaine : Ray a toujours été une encyclopédie de la musique populaire. C'est sans doute le premier à avoir introduit dans la pop des sonorités indiennes ou des rythmes de bossa-nova. Il restera à jamais figé dans la pose de l'observateur de Muswell Hillbillies, sachant repérer les mauvaises manies et les vices attachants de ses contemporains, mais sachant aussi intégrer des traditions musicales nouvelles. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr