Pet Sounds - Beach Boys (The) (1966)


1. "Wouldn't It Be Nice" (Wilson, Asher, Mike Love) – 2:22
2. "You Still Believe in Me" – 2:30
3. "That's Not Me" – 2:27
4. "Don't Talk (Put Your Head on My Shoulder)" – 2:51
5. "I'm Waiting for the Day" (Wilson, Love) – 3:03
6. "Let's Go Away for Awhile" (Wilson) – 2:18
7. "Sloop John B" (Trad. arr. Wilson) – 2:56
8. "God Only Knows" – 2:49
9. "I Know There's an Answer" (Wilson, Terry Sachen, Love) – 3:08
10. "Here Today" – 2:52
11. "I Just Wasn't Made for These Times" – 3:11
12. "Pet Sounds" (Wilson) – 2:20
13. "Caroline, No" – 2:52

 

Pet Sounds, meilleur album de l'histoire. Ce n'est pas moi qui l'affirme, mais des légions de critiques en tout genre. Moi, je me contente de me ranger à leur avis.

Dissipons tout de suite un malentendu. Il faut s'enlever de l'esprit l'image d'un groupe qui n'aurait été qu'un rassemblement d'aimables surfeurs-poseurs. Ca, ce sont les Beach Boys tels qu'ils se sont imposés à certains via le prisme déformant des médias. Dans les faits, ils abritaient un authentique prodige de la musique, Brian Wilson, le seul qui ait été à même de contester l'hégémonie des Beatles sur la pop music.

D'après tous les témoignages disponibles, le génie musical de Brian Wilson s'est manifesté de manière très précoce. A l'ère des girls groups, il a appris à ses frères à chanter de concert, puis il a aligné succès sur succès, amalgamant le blues-rock de Chuck Berry au style plus décontracté des groupes pop régis par Phil Spector.

Bientôt, cependant, Brian Wilson eut d'autres ambitions. Il se mit en tête de rivaliser avec les productions dudit Phil Spector, inventeur du célèbre wall of sound. Les tournées n'intéressaient pas Brian Wilson ; ce qui l'intéressait, l'obsédait, c'était le travail en studio. Avec la british invasion, il se découvrit d'autres rivaux de taille : les Beatles.

Brian Wilson avait été impressionné par l'album Rubber Soul, sorti en 1965. On peut considérer que Pet Sounds fut une réplique adressée aux Fab Four. Ceux-ci s'en trouvèrent à leur tour stimulés et y acquirent l'énergie d'aller encore plus loin. Le climat d'émulation constante dans lequel baignaient les groupes des sixties amèna au saccage des barrières qui cloisonnaient musique populaire et musique "savante", ce que Sergeant Pepper's illustra au mieux.

Cependant, avec le recul, Pet Sounds apparaît plus impressionnant que tout ce que les Beatles produisirent. C'est que Brian Wilson avait des ressources bien à lui, et notamment une oreille unique (Bob Dylan exprima à l'époque son admiration). A noter que cette expression n'a jamais paru plus appropriée, puisque Brian Wilson était sourd d'une oreille (d'où sa réticence à passer aux productions en stéréo). Les harmonies de Pet Sounds n'ont pas d'équivalent dans le domaine de la pop. Wilson utilise des renversements, parfois même des clusters, comme les musiciens contemporains. On trouve aussi dans sa musique des ébauches contrapuntiques, qu'il devait à sa fréquentation assidue de l'oeuvre de Bach.

Ecouter par exemple "Wouldn't It Be Nice", la première chanson de l'album, qui ne sera sans doute pas étrangère à la majorité des lecteurs, puisqu'elle a été reprise pour une publicité TV. Le refrain fait appel à des cuivres harmonisés d'une façon très inhabituelle. Il y a bien d'autres choses à admirer dans cette chanson : le motif tremblant introduisant la chanson (on croirait entendre une harpe !), le pont dans lequel le chant semble serpenter paisiblement, toute urgence rythmique ayant été abolie... Bien sûr, Brian Wilson empile les couches vocales (notamment dans la coda), comme il sait bien le faire. Une merveille de chanson heureuse. "Nous avions un sentiment dans nos coeurs, comme une vibration" dira Brian Wilson.

La science harmonique de Brian Wilson est encore à l'oeuvre dans "You Still Believe In Me", une splendeur. L'introduction en a été jouée sur un piano dont les cordes étaient entravées à la main, ce qui produit une impression "religieux", selon les mots de Brian Wilson. Puis la grille se déroule, sur un rythme qui paraît lent (on peut entendre les magnifiques clavecins électriques de l'époque) avant que le mouvement ne reprenne et que n'émerge la coda, chantée en choeur.

"That's Not Me" est l'occasion de remarquer un des autres axes du travail de Wilson sur Pet Sounds, un axe souvent négligé : les percussions. Il utilise des percussions associées ordinairement à la musique orchestrale, comme les timbales. C'est ainsi que "That's Not Me" est très rythmique.

On en arrive à "Don't Talk (Put Your Head On My Shoulder)". Je vais faire dans l'emphatique, mais tant pis. Cette chanson est pour moi la plus belle chanson pop qui soit. J'ai déjà vu des gens qui ne la connaissaient pas et qui l'entendaient pour la première fois être ému aux larmes, notamment pendant les passages où la voix de Brian est près de se briser. L'instrumentation est dominée par un orgue qui a la pesanteur des orgues d'église. Normal : cette chanson est écrite avec la science d'un Jean-Sébastien Bach. Elle se termine par un passage instrumental arrangé pour quatuor à cordes (ou tout comme : il y a en fait six instruments à cordes).

"I'm Waiting For The Day" est une synthèse de tout ce qui a déjà été évoqué : timbales proéminentes, cordes, choeurs (magnifiques et touchants pendant le deuxième couplet), instruments utilisés de manière insolite (solo de flute)...

"Let's Go Away For Awhile" est un des deux instrumentaux de l'album. Production luxuriante : Brian voulait réaliser "quelque chose à la Burt Bacharach". C'est un des morceaux dont il est le plus fier.

"Sloop John B." n'a pas été écrite par Brian Wilson : c'est une reprise (la seule de l'album) d'un air traditionnel. L'idée de cette reprise a été suggérée à Brian par Al Jardine. La chanson, à la base, était structurée autour de trois accords, et évidemment savait que ça ne pourrait pas plaire à Brian... Aussi, il a introduit des modifications dans la grille harmonique, plaçant notamment des accords mineurs. Brian a ensuite fait son travail d'arrangements habituels, et Al Jardine a été ébahi quand il a entendu la version élaborée.

En ouverture de la deuxième face campe "God Only Knows", qui a été élue par le magazine de référence Pitchfork comme la meilleure chanson de toutes les années 60. Paul McCartney n'a jamais manqué de clamer à quel point il l'adorait. C'est une première à maints égards : première utilisation du mot "God" dans une chanson populaire, utilisation d'un cor (dans l'intro)... La mélodie, très singulière, monte progressivement dans les aigus, comme s'il s'agissait d'exprimer la transcendance. L'orgue qui joue les accords a un son fabuleux qui fit beaucoup d'émules. Quant à la coda, à elle seule, elle suffirait à démontrer la supériorité de Brian Wilson sur tous ses contemporains. La phrase de titre est répétée en canon, à la façon des fugues (même si le mot doit être utilisé avec circonspection, car il désigne une forme musicale qui ne se réduit pas aux reprises en canon). Tout cela est agencé avec un naturel confondant et, évidemment, avec un sens de l'expressivité qui fait de ce morceau une réussite indépassable.

"I Know There Is An Answer" avait à l'origine d'autres paroles. Elle s'appelait alors "Hang On To Your Ego", mais le contenu, trop lysergique, n'eut pas l'heur de plaire à Mike Love, et certaines phrases furent révisées. L'idée générale est que les gens pourraient vivre mieux... Une partie percussive d'orgue conduit la chanson, qui emploie aussi des saxophones vrombissants.

"Here Today" est l'occasion d'admirer ce dont parlait Brian Wilson dans un documentaire consacré à la rivalité entre Beach Boys et Beatles : le son fantastique produit par l'alliance des claviers et de la guitare. Il faut absolument écouter le break instrumental qui précède le retour du refrain (un refrain plongeant du plus bel effet).

"I Wasn't Just Made For These Times" marque la première utilisation en rock du theremin, ce synthétiseur à fréquence ajustable (et qui sera particulièrement mis en valeur dans le single "Good Vibrations"). Cette chanson a des couplets lents, comme pris dans la vase... Et comme les sonorités des orgues sont toujours aussi fantastiques, elle exerce une sorte de fascination sur l'auditeur. Son titre, quelques années plus tard, apparaîtra prémonitoire : Brian Wilson, ayant gardé une pureté juvénile et ayant un musicien, rien qu'un musicien, ne pouvait décidément pas s'en sortir au milieu du panier de crabes qui l'entourait.

"Pet Sounds" est le second instrumental de l'album. Il fait plus appel aux guitares qu'aucun autre titre.

"Caroline, No", merveilleuse balade, confirme que Pet Sounds est une oeuvre de Brian Wilson seul davantage qu'une oeuvre des Beach Boys. Aucun d'eux n'apparaît sur la chanson. Brian avait fait appel à des musiciens de session pour les parties instrumentales, mais les capacités vocales des Beach Boys avaient été mises à contribution. Ici, il chante seul, et sa voix monte haut, très haut... Il reviendra plus tard douloureusement, dans des interviews, sur ce qu'il essayait de faire à cette époque bénie où il avait tout son enthousiasme et où il croyait aux pouvoirs magiques des voix...

A la fin de "Caroline, No" résonnent divers bruits : les chiens de Brian (justifiant le titre de l'album), le bruit de train... Tous ces bruits sont reliés à l'enfance. Si Pet Sounds, sorti en 1966, ne pouvait pas être un album concept, il est néanmoins indéniable que le thème unificateur de l'album, c'est l'enfance, plus exactement le passage de l'enfance à l'âge adulte. On ne sait ce qui serait advenu si Brian Wilson avait eu la possibilité d'achever Smile ; peut-être que Pet Sounds serait resté malgré tout son album le plus émouvant. Car ce Mozart quelque peu immature, ne pouvait parler d'enfance sans bâtir des châteaux magnifiques, des monuments en hommage à la nostalgie. Il y a des artistes comme ça... Ludwig II de Bavière était de ceux-là, non ?

Et si ce petit résumé n'a pas suffi à convaincre les retardataires d'acheter Pet Sounds, sachez que McCartney lui-même le place au-dessus des albums des Beatles. Il l'a acheté à ses enfants, afin qu'ils disposent d'une éducation musicale convenable. 

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr