Raw Power - Stooges (Iggy & the Stooges) (1973)


1. "Search and Destroy" – 3:29
2. "Gimme Danger" – 3:33
3. "Your Pretty Face Is Going to Hell" – 4:54 (originally titled "Hard to Beat")
4. "Penetration" – 3:41
5. "Raw Power" – 4:16
6. "I Need Somebody" – 4:53
7. "Shake Appeal" – 3:04
8. "Death Trip" – 6:07

 

Les Stooges : un des groupes qui a le plus compté dans l'histoire du rock. Ce fait-là est incontestable. Pour ceux qui ne le sauraient pas, leur chanteur et leader était Iggy Pop.

Le groupe s'est formé à Detroit dans les années 60, quand Iggy Pop s'est associé aux frères Asheton, qui étaient d'authentiques délinquants. A cette époque, la capitale de l'industrie automobile américaine était en ébullition. Les émeutes qui l'embrasèrent en 1967 demeurent parmi les plus violentes qu'ait jamais connues l'Amérique. C'est dans ce terreau que naquirent deux groupes marquants : le MC5 (qui reprendra "Motor City' Burning" de John Lee Hooker, dont le titre dit tout) et les Stooges. Pour ajouter encore à l'électricité ambiante, des agitateurs tentèrent de fédérer les mécontents afin d'instaurer un climat véritablement insurrectionnel. Parmi ces agitateurs figurait John Sinclair, le mentor de MC5.

La musique des Stooges sera donc violente, s'inspirant des groupes de rythm'n blues anglais les plus radicaux et du son crade des groupes garage américains. Mais - et c'est ce qui donne à mon sens aux Stooges une importance supérieure à celle de MC5 - Iggy Pop saura intégrer d'autres éléments à sa musique. Ainsi, il a souvent clamé avoir trouvé sa véritable personnalité à la suite d'un concert des Doors où Jim Morrison avait failli se faire lyncher par des rednecks. L'influence des Doors est patente dans une chanson comme "Dirt"...

Le psychédélisme ne fut qu'une des sources fondatrices de l'originalité des Stooges. Il ne faut pas oublier qu'Iggy Pop, avant de créer ce groupe, avait vécu comme beaucoup de petits intellectuels à cheveux longs des sixties : lisant les poètes beat, s'initiant à la musique atonale de John Cage, goûtant à toutes les drogues...

Même la tradition africaine sera convoquée. La batterie répétitive de Scott Asheton, qui tape parfois sur des bidons vides (auxquels est adjoint un mixeur dont les vibrations renforcent le côté hallucinatoire de cette musique), participe d'une volonté d'installer une transe.

Après un très bon album en 1970 (Fun House), les Stooges se mettent en sommeil pendant un temps, avant de réapparaître à Londres quelque peu transformés : ils ont accueilli en leur sein une crapule vicieuse, James Williamson, qui manie la guitare de façon pyrotechnique. Du coup, Ron Asheton est passé à la basse.

Il y a une nette différence de ton entre le groupe qui avait fait Fun House et celui qui fera Raw Power. La musique du premier est plus expérimentale, plus psychédélique... Elle a donc généralement les faveurs des critiques. La musique du second est ultra-violente. Elle consacre même la naissance du punk... Il n'y a pas plus de fureur dans les guitares de Steve Jones qu'il n'y en a dans celles de James Williamson. Bien au contraire...

Problème : James Williamson a parfois tendance à en faire trop. S'il s'était cantonné dans un registre uniquement rythmique, Raw Power serait un album inattaquable. Mais comme il multiplie les solos, singeant même les gimmicks des solistes de heavy metal, certains ont beaucoup de difficultés à écouter cet album de bout en bout. Il faut avouer que ce n'est pas l'album recommandé pour une écoute vespérale, après une journée de boulot...

Pour ne rien arranger, le mix original (attribué à Bowie) souffrait d'un manque dramatique de dynamique. On devinait bien des guitares surpuissantes, mais on ne les entendait pas, noyées qu'elle était par les basses. Apparemment désireux de renforcer sa crédibilité de parrain de punk, Iggy Pop se chargea lui-même de la remastérisation, qui fut disponible en 1997. La nouvelle version ne faisait pas dans la dentelle : les guitares, cette fois-ci, on les entend ! Trop, sans doute... Y aura-t-il jamais un mixage parfait pour ce disque ?

La qualité des chansons compense largement les approximations de la production. Pour ouvrir le feu d'artifice, on a rien moins que la meilleure chanson punk jamais réalisée : "Search And Destroy", où les guitares se complètent parfaitement : une guitare rythmique assénant de grands accords en distorsion, James Williamson se fendant de solos aigus (et concis) à vous vriller les tympans. C'est l'histoire d'un vétéran qui revient du Vietnam transformé en napalm ambulant, avec des idées de mort et de destruction plein la tête.

Mais les Stooges n'avaient pas la distorsion pour seule ressource. Deux chansons majeures fusionnent la guitare sale avec des arpèges acoustiques scintillants. "Gimme Danger" et "I Need Somebody" sont les noms de ces deux tours de force, qu'Iggy Pop chante avec des afféteries géniales.

Iggy vocaliste ? Il faut écouter "Penetration", pour écouter ce qu'on peut faire avec une voix : souffler, cracher, menacer, vagir...

Cette musique suinte le sexe et les instincts primaux. Pour chanter pareilles choses, Iggy Pop est sans rival. "Shake Appeal" le voit hurler comme un chanteur de rockabilly qu'on aurait gavé d'ampétamines, il y a des claquements de mains comme dans les chansons d'Eddy Cochran... Et surtout, on n'a jamais entendu guitare sembler aussi proche !

Les trois autres chansons sont plus affectées par les solos en liberté de James Williamson : "Your Pretty Face Is Going To Hell". La première, c'est du hard-blues sauvage (qui se prêtait, hélas, bien à des improvisations lead incessantes). Les deux suivantes sont meilleures... Le son, naturellement, reste super-crade et sauvage.

Ce qui est certain, c'est qu'Iggy et les Stooges ont délivré une musique punk avant l'heure (c'est-à-dire avant que les colleurs d'étiquettes ne décident qu'était venue l'heure du punk). Et, comme il arrive bien souvent, ces précurseurs ont été meilleurs que leurs épigones. Il y a dans leurs albums une densité et une inventivité dont les punks anglais n'approchèrent jamais.  

              Damien Berdot
© D. BERDOT - dberdot@yahoo.fr